Wednesday 24 February 2016

L'article - Stephen Yeo

Influence sur les politiques – Signification et évaluation 


Stephen Yeo
Premier dirigeant
African Centre for Economic Transformation (ACET)


Les termes « répercussions sur les politiques » et « influence sur les politiques » sont souvent utilisés, mais rarement clairement définis. Ce n’est pas parce que leur sens n’est pas clair pour toutes les personnes concernées : au contraire, le sens est soit très simple, soit très vague.

D’abord, la vision trop simpliste : « J’ai rédigé un article de recherche qui a été publié dans une revue de grand renom. Le Ministre a lu l’article et a immédiatement mis en oeuvre la politique que j’ai recommandée dans l’article. » Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de connaissances sur le fonctionnement de la politique et des gouvernements pour savoir que cette déclaration est plutôt ridicule. Les ministres ne lisent pas les articles de recherche dans les revues scientifiques. De plus, même s’ils lisaient ces articles, ils ne baseraient pas leurs politiques sur le dernier article de revue qu’ils ont lu. Cette vision simpliste est toutefois attrayante, et pas seulement parce qu’elle est facile à comprendre. Si l’élaboration de politiques se déroulait de cette façon, il serait facile d’évaluer l’influence des recherches sur les politiques; il suffirait d’examiner les articles de revue et d’établir un lien aux changements politiques, ou d’examiner un changement apporté à une politique et de tenter de déterminer les articles de revue que le ministre lisait à ce moment.

Heureusement (ou malheureusement selon la perspective d’évaluation), la vision simpliste est passée de mode depuis assez longtemps – depuis les années 1960 en fait. Depuis, cette vision a été remplacée par une vision plus réaliste et plus nuancée, mais plus difficile à mesurer.

D’où provient cette vision plus nuancée, et en quoi consiste-t-elle ? Carol Weiss, une professeure à l’Université Harvard qui a étudié la politique d’éducation américaine dans les années 1970, est en grande partie responsable de cette nouvelle vision. Elle a souligné le rôle d’« éclaircissement » de la recherche, c’est-à-dire la capacité de la recherche de créer un cadre dans lequel les responsables des politiques pouvaient analyser les choix politiques et en discuter. Les chercheurs pourraient avoir une influence indirecte mais énorme sur les politiques simplement en élaborant les conditions selon lesquelles les débats publics concernant une politique sont menés et selon lesquelles les responsables des politiques réfléchissent à la situation.

Cette idée a beaucoup de mérite – il suffit de penser à la façon dont les débats sur le développement ont changé entre les années 1950 et 1990, passant des discussions sur les plans nationaux et de la planification centrale qui étaient à la mode pendant les années 1950 à la réflexion axée sur le marché des années 1990, où tous les problèmes et enjeux politiques étaient encadrés par des termes économiques, et où toutes les réponses semblaient provenir des économistes. En effet, le pouvoir d’encadrer un enjeu peut être très puissant.

Fred Carden est allé un peu plus loin avec cette idée dans son étude historique de 2009 concernant l’influence sur les politiques (http://www.idrc.ca/EN/Resources/Publications/Pages/IDRCBookDetails.aspx?PublicationID=70
). Il a défini trois différentes voies par lesquelles la recherche peut avoir une incidence sur les politiques : accroître les capacités des politiques, élargir les horizons politiques et influer sur les régimes décisionnels. Accroître les capacités des politiques consiste à renforcer la capacité des responsables des politiques à analyser la recherche pertinente aux politiques et à assimiler les idées qu’elle renferme. Élargir les horizons politiques consiste à introduire de nouvelles idées et options dans les débats politiques, une notion semblable mais pas tout à faire pareille à l’idée de Weiss, selon laquelle la recherche fournit des éclaircissements ou des cadres pour la discussion. L’influence sur les régimes décisionnels concerne également la capacité, comme la première voie, mais porte davantage sur les processus par lesquels les politiques sont discutées et choisies que sur les personnes concernées.

Il s’agit d’une façon très différente de réfléchir à l’influence sur les politiques. Cela va « bien au-delà de la simple modification de politiques spécifiques »; en fait, selon Carden, « l’influence la plus significative et durable ne consiste pas tant à apporter des changements à certaines politiques qu’à renforcer la capacité – chez les chercheurs et chez les responsables des politiques – pour leur permettre de produire et de mettre en application des connaissances qui permettront de meilleurs résultats ». Toutefois, dans cette version plus nuancée, l’influence et les répercussions ressortent seulement à long terme. Comme le relève Carden, « il faut parfois des années, voire des décennies, avant que ce type d’influence se fasse sentir ou devienne manifeste. Cela  est cependant très important. »

Par conséquent, nous avons une notion beaucoup plus compliquée de l’influence sur les politiques. Toutefois, les complications ne s’arrêtent pas là. Un développement plus récent est l’apparition de méthodes plus systématiques et rigoureuses pour évaluer les répercussions sur les politiques. La plus connue de ces méthodes consiste en des essais comparatifs sur échantillons aléatoires, qui sont devenus beaucoup plus communs et influents au cours des quinze à vingt dernières années. L’évaluation des répercussions – que ce soit par des essais comparatifs sur échantillons aléatoires ou d’autres méthodes – consiste habituellement à examiner des politiques existantes plutôt qu’à proposer de nouvelles politiques. La recherche peut donc avoir une influence importante sur la réflexion des responsables des politiques en démontrant qu’une politique existante ne donne pas les résultats voulus, plutôt que de trouver une idée pour une toute nouvelle politique. À certains égards, il est ainsi un peu plus simple d’établir des liens entre la recherche et les politiques, parce que les évaluations des répercussions sont normalement très visibles et peuvent souvent être clairement liées au discours politique.

Il en ressort un cadre plus sensé pour réfléchir à la façon dont la recherche peut influer sur la politique qui va bien au-delà de savoir si des travaux de recherche particuliers étaient responsables d’un changement précis à une politique (p. ex. une nouvelle loi, un changement à une pratique réglementaire, ou une décision de modifier une variable qui est sous le contrôle d’un responsable de politiques). Mais parallèlement, ces notions engendrent des défis importants pour les chercheurs et les Think Tanks qui doivent démontrer que leurs recherches ont eu des répercussions, ou pour les évaluateurs qui doivent examiner un programme ou un projet de recherche.

En effet, même dans le cas apparemment simple d’un changement de politique qui concerne une nouvelle loi, il n’est pratiquement jamais possible de « prouver » que des travaux de recherche précis ont donné lieu au changement à la politique. De nombreux facteurs influencent une décision politique, et la recherche n’en est qu’un seul – dans de nombreux cas, la recherche peut être beaucoup moins importante que d’autres facteurs, comme le milieu politique. Pourquoi ne pas simplement demander au politicien ou au fonctionnaire (qui a pris la décision de modifier la politique) d’expliquer la raison de sa décision ? En fait, même cette méthode est loin d’être simple – il est parfois loin d’être évident de savoir quel individu a réellement pris la décision, ou même si un seul individu était responsable de la décision. Il est donc possible qu’on ne sache pas à qui poser la question.


Il faudrait donc se fier à d’autres éléments de preuve pour mesurer les répercussions. Il pourrait être nécessaire d’analyser le contenu des documents (livres blancs, livres verts, discours par des politiciens et des fonctionnaires) pour détecter l’influence d’un travail de recherche, ou d’interroger un plus grand nombre de personnes qui ont participé de près au processus de prise de décision, et de tenter de « trianguler » leurs réponses. Cela commence à ressembler davantage au travail d’un bon journaliste ou d’un détective. Donc, même dans le cas « simple » d’une modification discrète à une politique, il est difficile de retracer la modification à un document ou à un projet de recherche.

Le défi est encore plus important pour les types plus complexes d’influence sur les politiques, comme le rôle de la recherche dans l’établissement d’un cadre pour l’analyse et le débat des politiques. Comment mesureriez-vous un changement dans un cadre ? Cela exigerait une analyse documentaire encore plus élaborée, et l’interrogation d’un nombre beaucoup plus important d’intervenants.

Les difficultés par rapport à l’évaluation de l’influence de la recherche sur les politiques sont connues et reconnues depuis un certain temps, mais il y a eu assez peu de tentatives systématiques pour traiter la question. Les travaux de Carden – qui examinent l’influence de 23 projets financés par le CRDI sur les politiques au moyen d’un cadre commun – sont probablement l’exemple le plus ambitieux. Toutefois, ces travaux ont seulement effleuré le problème, qui est l’un des casse-tête les plus difficiles et fascinants auxquels sont confrontés les chercheurs, et ceux qui les évaluent.



No comments:

Post a Comment